dimanche 28 février 2010

Zola

Rencontre dans la steppe Mongole en juillet 2003, pour l’anniversaire de Zola.



Nous étions entre Karakorum et Oulan-Bator, nous restait-il cent kilomètres à parcourir ? Ce jour-là de violentes pluies avaient inondé certains quartiers de la capitale. Nous l’ignorions encore lorsque nous fûmes obligés de quitter la route. À cet endroit précis, elle était légèrement surélevée au-dessus d’un creux naturel entre les deux pentes d’une vallée. Une ou deux heures avant notre passage, la pluie fut si forte que l’eau emporta un morceau d’asphalte, laissant un vide d’environ deux mètres de haut sur trois de large. Tous les véhicules tentaient de franchir le ruisseau provisoire en contrebas. Les uns cherchaient l’endroit apparemment idéal pour passer, les autres suivaient les traces les plus profondes. Les uns faisaient ronfler leur moteur avant de s’élancer, les autres passaient avec douceur. Aucune méthode ne fut meilleure qu’une autre et ceux qui restaient embourbés au milieu de l’eau se faisaient immédiatement aidés par les précédents qui venaient de réussir à passer. Quelques personnes avaient laissé leur véhicule plus loin pour assister au spectacle, mais aussi pour être utile ne serait-ce que guider d’un geste. Quelques-uns enlevaient leurs chaussures et chaussettes, relevaient le pantalon et allaient pieds nus dans la boue au plus près de personnes ayant besoin d’aide.
Une jeune femme — vêtue d’un pantalon rouge, coiffée d’un chapeau noir à larges bords relevés sur les côtés, chaussée de sandales à talons hauts sur des socquettes blanches — apparu de nulle part. Plantée là au milieu de la boue comme une lumière, elle souriait, s’appelait Zola, était enseignante dans un collège d’Oulan-Bator. Lorsqu’elle s’en alla, je la regardai marcher sans mal sur ce terrain bourbeux comme si la boue était un mirage, elle ne se salissait pas.
Élégance inconnue.
Elle monta à l’arrière d’une vieille Volga blanche et se fit conduire comme une reine… Plus réelle qu’une princesse de papier, elle me faisait oublier, le temps de la voir, l’écrivain auquel j’étais obligé d’associer ce nom.
Mais Zola pouvait être un prénom féminin et n’être que cela.

©2003 Felipe Martinez