À l'ombre de mes étudiants ou le portrait de Hyun-Chuul
La présentation de son travail n'avait
pas été très bonne, Hyun-Chuul avait été le dernier étudiant de
la journée et rien ne l'avait aidé à être clair ce soir-là entre
les conseils de ses camarades, son trac et la fatigue du jury.
Pourtant je n'étais pas soucieux, l'ensemble de ses recherches me
paraissait suffisamment fort pour éviter toute polémique. 
Le président du jury était directeur
d'une école d'art du centre de la France, il ne cessait d'affirmer
ses appartenances politiques avec fierté. Une fois réunis dans la
salle de délibération après le passage de Hyun-Chuul notre
président dérogeant aux règles, prit la parole le premier, d'abord
il était entré en regardant sa montre et en nous disant:
«-Ce soir nous ne finirons pas tard.», puis comme pour orienter le débat où pour l'étouffer il nous dit que cet étudiant n'aura pas son diplôme.
«-Ce soir nous ne finirons pas tard.», puis comme pour orienter le débat où pour l'étouffer il nous dit que cet étudiant n'aura pas son diplôme.
«-Il y a trop de coréens dans nos
écoles!» Osait-il nous dire! Celui-là se risquait à parler
de sa solitude en citant parfois le nom de Dieu, cela était
insupportable pour lui. Je m'opposais en argumentant sur la poésie
des travaux de Hyun-Chuul. Un des membres du jury me suivi jusqu'au
bout du débat, il me restait à convaincre le dernier, la voix du
président comptait double, nous devions être trois à nous opposer
à lui si je voulais un résultat en accord avec ma pensée. Souvent
nous traversions de longs moments de silence, le président les
rompait toujours de la même façon: 
«Alors Felipe me disait-il, que
fait-on?». Au bout d'une heure ou deux lorsqu'il me posa à nouveau
cette question je lui demandais s'il se moquait de moi. La personne
indécise, n'était pas à convaincre puisque je devais me résoudre.
C'est après trois heures que notre indécis se rangea du côté du
président, faisant basculer Hyun-Chuul parmi les étudiants qui
avaient échoué. Les notes qui lui avaient été attribuées furent
réétudiées par lui seul et pour empêcher toute contestation il
gomma le 9 sur 20 que seul il avait estimé pour lui mettre 7!
Il a fallu une ou deux heures
supplémentaires pour expliquer à l'étudiant qu'il n'avait pas
obtenu son diplôme.
Les jours suivants je prenais de ses
nouvelles de temps en temps par inquiétude.
Hyun-Chuul redoubla, continua à
produire des récits constitués de photographies de textes et de
vidéos. Lorsqu'il se présenta devant un autre jury un an plus tard
on lui donna une mention en s'étonnant qu'il n'ait pas obtenu ce
diplôme un an auparavant. Puis il fit sa route en second cycle.
Songeait-il au moment où il devrait
rentrer chez lui en Corée? Alors il pensait à toutes les personnes
qu'il avait croisé ici, ses amis ses camarades et les autres, les
familles de ses amis, les amis des amis etc. Il était aspiré par
l'idée de fabriquer des liens avec n'importe qui juste pour rentrer
en Corée avec la preuve éternellement vivante de son passage ici en
Europe? Il organisait son travail durant ces deux années autour de
cette idée de liens. En fin de cinquième année, il présenta
l'intégralité de ses expérimentations dans l'atelier de
photographies au sous-sol de l'école, pour se préserver des
regards? Son vœux avait été de montrer son travail sans aucune
autre personne sinon le jury et son tuteur qui ne connaissait pas
encore la totalité de ses images.
Lorsqu'il sortit de la salle de
délibération où il apprit qu'il avait obtenu son diplôme, il
était heureux sans que l'on puisse le déceler sur son visage. Le
président lui avait même communiqué la note que le jury lui
attribua: 19/20. Je le félicitais à mon tour et lui dit:
«-Tu dois avoir envie de téléphoner
à ta famille à Séoul, tes parents vont être contents.
- Je ne peux pas leur téléphoner car
lorsque j'avais échoué il y a trois ans je n'ai jamais pu leur
dire, mes parents ne savent pas que j'ai redoublé, ils pensent que
j'ai terminé mes études il y a un an».
Hyun-Chuul n'envisageait même pas de
les appeler pour rectifier son mensonge tellement pardonnable et
partager son invisible succès comme si son destin était de savoir
fabriquer ses douleurs et ses bonheurs avec les mêmes ingrédients,
être exilé toujours, peu importe comment, inconfort qui devrait
être une leçon pour celui qui astique chaque jour ses idées de
faucille et de marteau!