Sa générosité, sa poésie...
C’était à l’époque où j’avais
pris l’habitude d’aller tout au bord de l’Europe loin dans le
sud, pour vivre l’inconfort de l’ailleurs à Turón petit village
des Alpujaras où les habitants vivaient avec de l’eau au robinet
seulement deux ou trois heures par semaines si ce n’était pas
toutes les deux ou trois semaines. Là-bas il y avait encore quelques "petits paradis", héritages lointains. Pour trouver l’un d’eux il
suffisait de contourner la montagne, atteindre le flanc nord en
suivant les traces de pas des mules sur le petit chemin poussiéreux
jusqu’à tomber sur une maison isolée entourée de verdure et du
bruit de l’eau d’une fontaine alimentant un grand bassin, réserve
d’eau avec son système d’irrigation du jardin en escalier.
Tomás le propriétaire du seul bar du
village avait la garde de ce jardin qu’il entretenait. Il y
plantait des fèves, des oignons, des tomates, assuré que tout
pousserait. Ses petits carrés de potager étaient protégés par des
citronniers de différentes variétés, les plus étonnants étaient
les citrons doux presque aussi sucrés que des oranges. Souvent nous
pouvions le voir partir du village avec ses deux mules dont une
servirait à ramener ses légumes.
Un jour je me trouvais sur son chemin
dans une rue du village, au volant de ma voiture toutes fenêtres
ouvertes, nous nous arrêtâmes l’un et l’autre pour nous saluer
puis il se retourna et puisa à bras le corps dans les paniers de sa
seconde mule un énorme bouquet de fèves qu’il venait de récolter
puis il me les lança à travers les fenêtres de la voiture et
recommença en riant à pleine dents en levant les bras au ciel en me
disant : ¡ qué alegria !