Et ses silences | n°1
L’Espagne
finissait d’être gouvernée par celui que tant avaient combattu,
ce pays avait été celui de mon père, il ne l’était plus. Il en
parlait parfois avec un détachement qui exprimait aussi son
contraire un peu comme si son pays natal avait été rayé de la
carte après un tremblement de terre.
Franco
finissait sa vie, le pays s’ouvrait au tourisme et beaucoup de
français passèrent leurs vacances sur la Costa Brava. La Catalogne
l’Espagne devenaient des destinations exotiques.
Une
cousine française était allée passer ses vacances d’été près
de Barcelone d’où elle était revenue complètement séduite,
émerveillée, aveuglée. Les vacances, le soleil, le sable chaud,
les palmiers, les tapas, les boites de nuit. Elle était si heureuse
de son séjour que son enthousiasme l’obligeait à venir le
raconter à mon père, il fallait qu’elle lui parle de son pays,
lui dire qu’elle se sentait plus proche de lui maintenant ?
Elle lui parla d’un amoureux qu’elle avait trouvé et dont elle
était sur qu’il deviendrait son mari. Un garçon de bonne famille,
un futur avocat. Mon père la laissait parler puis il lui demanda
s’il était franquiste. Elle était un peu embarrassée et répondit
qu’elle ne savait pas mais qu’il l’était sans doute. Mon père
ne semblait ni surpris ni affecté après tout ce garçon était né
après la guerre d’Espagne, pouvait-il se tromper ? il
continua : « Et ses parents ? ». La réponse
fut franche : « Ils sont franquistes » dit-elle avec
un léger haussement d’épaule qui devait les excuser. C’est tout
ce que mon père demanda et ma cousine continua à nous raconter ses
vacances après un petit moment de silence. Elle termina par demander
à mon père de bien vouloir recevoir son fiancé lorsqu’il
viendrait, bientôt, la voir en France. Mon père ne répondit pas.
Lorsqu’elle s’en alla il vint me voir dans ma chambre :
« – Toi
qui dessines bien, tu me feras autant de portraits de Franco qu’il
y a de portes dans la maison. Je les suspendrai par un fil au-dessus
de chaque porte et chaque fois que j’en franchirai une je donnerai
un coup de poing dedans, c’est tout ce que je dirais lorsqu’il
viendra ! »
C’est
sans doute à partir de ce moment-là que j’ai commencé à aimer
les silences de mon père et à comprendre ceux qui étaient enfouis
dans mes souvenirs comme des petits mystères.